Sentience animale

mai 16, 2024

Dans le présent document, la sentience signifie avoir la capacité d’éprouver des sentiments positifs et négatifs tels que le plaisir, l’excitation, la peur, la faim, la douleur et la détresse. Les espèces animales considérées comme étant sentientes sont de plus en plus nombreuses. C’est pourquoi l’ACMV reconnaît la nécessité et l’importance de rester au courant des données actuelles et en évolution afin d’élaborer des pratiques exemplaires et des recommandations qui accordent la priorité au bien-être des animaux.

Position

L’ACMV considère que de nombreuses espèces animales sont sentientes. Tous les animaux vertébrés, et probablement beaucoup d’animaux invertébrés, sont sentients, c’est-à-dire qu’ils peuvent éprouver des sentiments en réponse à des stimuli positifs ou négatifs. Par conséquent, il faut tenir compte du bien-être des animaux sentients dans la prise de décisions éthiques, et faire des efforts pour maximiser les expériences positives et réduire les expériences négatives. Les besoins de l’espèce et de l’individu doivent être respectés dans le cadre des pratiques liées aux soins et à l’utilisation des animaux. En l’absence de certitude scientifique, l’hypothèse de la sentience doit prévaloir, car il s’agit d’un principe clé dans l’élaboration de politiques en matière de bien-être animal.

Sommaire

  • La sentience est la capacité d’un animal à éprouver des sentiments en réponse à des stimuli positifs ou négatifs.
  • La sentience ne se limite pas aux capacités cognitives de l’animal.
  • Bien que les données scientifiques démontrant la sentience animale soient incomplètes, il existe suffisamment de preuves pour étayer que beaucoup d’espèces sont sentientes.
  • En raison de l’incertitude qui entoure la sentience animale, le principe de précaution doit prévaloir afin d’éviter de causer du tort aux animaux de manière involontaire.
  • La reconnaissance de la sentience ou la présomption de sentience chez une espèce doit se traduire par des efforts visant à réduire les états négatifs et à favoriser les états positifs.

Contexte

  1. La sentience est la capacité d’éprouver des sentiments positifs et négatifs tels que le plaisir, l’excitation, la peur, la faim, la douleur et la détresse. Les sentiments sont des expériences subjectives qui fournissent aux animaux de l’information sur leur état interne en réponse à des stimuli externes ou internes, ce qui leur permet d’apprendre, de s’adapter aux situations et aux environnements, et de s’épanouir. Les sentiments des animaux sont impossibles à évaluer directement, mais ils peuvent être déduits en fonction d’indicateurs comportementaux et physiologiques (1-8).
  2. Les sentiments qui permettent aux animaux d’apprendre, de s’adapter aux situations et aux environnements et de s’épanouir nécessitent un certain degré de conscience et de capacité cognitive, mais ils ne sont pas nécessairement liés à des processus cognitifs complexes (par exemple, la reconnaissance de soi dans un miroir). Ainsi, les capacités cognitives des animaux ne sont pas corrélées avec la sentience (9).
  3. Bien que la science concernant la sentience chez les animaux non humains soit incomplète et équivoque, il existe suffisamment de preuves pour étayer que beaucoup d’espèces sont sentientes. L’incertitude scientifique ne doit pas servir de justification pour éviter d’adopter des pratiques ou de faire des recommandations qui atténuent la souffrance des animaux. La responsabilité éthique et morale de la société, et en particulier de la profession vétérinaire, est d’interagir avec tous les animaux de façon bienveillante, quel que soit le degré de certitude quant à leur sentience. Toutes les interactions doivent être guidées par le principe selon lequel tout préjudice évitable doit être évité. Le principe de précaution est souvent utilisé comme guide par les décideurs pour réduire les risques lorsque les preuves scientifiques à l’appui d’une politique sont incertaines ou incomplètes. À l’origine, le principe de précaution a été conçu comme un guide pour les politiques environnementales (10), et il a récemment été modifié pour s’appliquer à la sentience animale. Selon ce principe, lorsqu’il existe un risque de conséquences négatives graves pour le bien-être des animaux, l’absence de certitude scientifique absolue concernant la sentience des animaux concernés ne doit pas servir de prétexte pour ne pas prendre de mesures intentionnelles et positives afin d’éviter ces conséquences (1).
  4. La connaissance de ce que les animaux sont susceptibles de vivre et de ce qui est nécessaire pour veiller à ce que leurs besoins physiques, physiologiques et comportementaux soient comblés est essentielle pour assurer leur bien-être. En raison de la subjectivité des sentiments ainsi que des adaptations et besoins propres à chaque individu ou espèce, ce que vit un animal donné est susceptible d’être qualitativement et quantitativement différent de ce que vivent les humains et les autres espèces. Les preuves scientifiques indiquent que tous les vertébrés et probablement de nombreux invertébrés sont sentients. Par exemple, les céphalopodes (pieuvres, calmars et seiches), les décapodes (crabes, homards, écrevisses et crevettes) et les insectes (abeilles) répondent à plusieurs critères de sentience (2,11-14). Par conséquent, nous avons la responsabilité de tenir compte de leur bien-être et de leur assurer une bonne qualité de vie et une mort sans cruauté, en fonction de leurs besoins physiques, physiologiques et comportementaux spécifiques (4,8,15).
  5. Si la prévention et la diminution des expériences qui entraînent des sentiments négatifs tels que la faim prolongée, la peur, la douleur et la souffrance sont des éléments essentiels du bien-être animal (16), il a été reconnu que leur seule prévention est insuffisante; des expériences positives et un sentiment de contrôle sur les actions et leurs conséquences sont également nécessaires (6,17-23). L’ACMV estime que les animaux sentients sous la garde des humains doivent avoir la possibilité de vivre des expériences positives, et que les expériences négatives doivent être réduites le plus possible.
  6. À mesure que les connaissances sur la sentience animale progressent, les pratiques devraient être soigneusement évaluées et adaptées afin de maximiser les effets positifs et de réduire le plus possible les effets négatifs sur le bien-être des animaux.
  7. De nombreux pays ont reconnu la sentience animale dans leur législation (7), notamment le Royaume-Uni avec l’Animal Welfare (Sentience) Act 2022 (24). Au Canada, la province de Québec reconnaît les animaux comme des êtres doués de sensibilité dans l’article 898.1 du Code civil du Québec (25) et sa Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal (26). L’ACMV estime que le système juridique canadien devrait prendre en compte la reconnaissance de la sentience animale dans le cadre d’une législation sur le bien-être des animaux qui serait harmonisée à l’échelle nationale. Cette démarche comprendrait l’élaboration et l’application de règlements, la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, commerciales, de consommation, récréatives ou personnelles, ainsi que l’interaction avec les animaux sauvages et féraux (27).
  8. L’étude des sentiments (ou émotions) des animaux est une quête scientifique légitime dans les domaines de l’éthologie, des sciences du comportement et des neurosciences. L’ACMV continuera à examiner les nouvelles études sur la sentience animale au fur et à mesure de leur publication et réévaluera sa position en conséquence.

Références

  1. Birch J. Animal sentience and the precautionary principle. Animal Sentience 2017;16(1) (DOI : 10.51291/2377-7478.1200).
  2. Birch J, Burn C, Schnell A, Browning H, Crump A. Sentience in decapod crustaceans: A general framework and review of the evidence. The London School of Economics and Political Science, 2021 (doi : 10.51291/2377-7478.1691).
  3. Damasio A, Carvalho GB. The nature of feelings: evolutionary and neurobiological origins. Nature Reviews Neuroscience 2013;14:143-152 (https://doi.org/10.1038/nrn3403).
  4. Duncan IJH. The changing concept of animal sentience. Applied Animal Behaviour Science 2006;100:11-19 (https://doi.org/10.1016/j.applanim.2006.04.011).
  5. Mason GJ, Lavery JM. What Is It Like to Be a Bass? Red Herrings, Fish Pain and the Study of Animal Sentience. Front Vet Sci 2022;9:788289 (DOI : 10.3389/fvets.2022.788289).
  6. Panksepp J. Affective Neuroscience. The Foundations of Human and Animal Emotions. Oxford University Press, New York, NY, 1998.
  7. Rowan AN, D’Silva JM, Duncan IJH, Palmer N. Animal sentience: history, science, and politics. Animal Sentience 2021;31(1) (doi : 10.51291/2377-7478.1697).
  8. Yue-Cottee S. Are fish the victims of “speciesism”? A discussion about fear, pain, and animal consciousness. Fish Physiol Biochem 2012;38:5-15 (DOI : 10.1007/s10695-010-9449-9).
  9. Broom DM. Sentience. Choe JC (éd.). Encyclopeadia of Animal Behaviour, 2e édition, 2019.
  10. Nations Unies. Rio Declaration on Environment and Development. Report of the United Nations Conference on Environment and Development, Rio de Janeiro, du 3 au 14 juin 1992.
  11. Crump A, Browning H, Schnell A, Burn C, Birch J. Sentience in decapod crustaceans: A general framework and review of the evidence. Animal Sentience 2022;32(1) (DOI : 10.51291/2377- 7478.1691).
  12. Gibbons M, Crump A, Barrett M, Sarlak S, Birch J, Chittka L. Chapter Three—Can insects feel pain? A review of the neural and behavioural evidence. Russell Jurenka (éditeur), Advances in Insect Physiology, Academic Press, 2022;63:155-229 (https://doi.org/10.1016/bs.aiip.2022.10.001).
  13. Gibbons M, Versace E, Crump A, Chittka l. Motivational trade-offs and modulation of nociception in bumblebees. PNAS 2022;119(31):e2205821119 (https://doi.org/10.1073/pnas.2205821119).
  14. Crook RJ. Behavioural and neurophysiological evidence suggests affective pain experience in octopus. Science 2021;23;24(3):102229 (DOI : 10.1016/j.isci.2021.102229; PMID : 33733076; PMCID : PMC7941037).
  15. Proctor HS, Carder G, Cornish AR. Searching for Animal Sentience: A Systematic Review of the Scientific Literature. Animals 2013;3(3):882-906 (https://doi.org/10.3390/ani3030882).
  16. Association canadienne des médecins vétérinaires. What is Good Animal Welfare? (https://www.canadianveterinarians.net/about-cvma/cvma-committees/animal-welfare-committee/).
  17. Boissy A, Manteuffel G, Jensen MB, Moe RO, Spruijt B, Keeling LJ, Winckler C, Forkman B, Dimitrov I, Langbein J, Bakken M, Veissier I, Aubert A. Assessment of positive emotions in animals to improve their welfare. Physiology and Behavior 2007;92(3):375-397 (https://doi.org/10.1016/j.physbeh.2007.02.003).
  18. Fraser D. Understanding Animal Welfare: The Science in its Cultural Context. Oxford, Royaume-Uni, Wiley-Blackwell, 2008, 336 pages.
  19. Mellor DJ, Beausoleil NJ, Katherine E, Littlewood KE, McLean AN, McGreevy PD, Jones B, Wilkins C. The 2020 Five Domains Model: including human–animal interactions in assessments of animal welfare. Animals 2020;10(10):1870 (https://doi.org/10.3390/ani10101870).
  20. Mellor DJ. Enhancing animal welfare by creating opportunities for positive affective engagement. New Zealand Veterinary Journal 2015;63(1):3-8 (https://doi.org/10.1080/00480169.2014.926799).
  21. Mellor DJ, Beausoleil NJ. Extending the “Five Domains” model for animal welfare assessment to incorporate positive welfare states. Animal Welfare 2015;24(3):241-253 (DOI : 10.7120/09627286.24.3.241).
  22. Panksepp J, Biven L. The Archaeology of Mind: neuroevolutionary origins of human emotions. WW Norton & Company, New York, NY, 2012.
  23. Rault JL, Hintze S, Camerlink I, Yee JR. Positive welfare and the like: distinct views and a proposed framework. Front Vet Sci 2020;7(370):1-9 (DOI : 10.3389/fvets.2020.00370).
  24. The UK Animal Welfare (Sentience) Act 2022 (https://www.legislation.gov.uk/ukpga/2022/22/enacted).
  25. Québec. Chapitre CCQ-1991, Code civil du Québec, article 898.1., (https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/CCQ-1991). 
  26. Québec. Loi sur le bien-être la sécurité de l’animal, RLRQ c B-3.1, (https://www.canlii.org/fr/qc/legis/lois/rlrq-c-b-3.1/190341/rlrq-c-b-3.1.html).
  27. Association canadienne des médecins vétérinaires. Énoncé de position sur la gestion des animaux nuisibles (https://www.veterinairesaucanada.net/politiques-et-rayonnement/enonces-de-position/enonces/gestion-des-animaux-nuisibles/).

Resources Supplémentaires:

  1. New York Declaration on Animal Consciousness https://sites.google.com/nyu.edu/nydeclaration/declaration
  2. Cambridge Declaration on Consciousness https://fcmconference.org/img/CambridgeDeclarationOnConsciousness.pdf